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Vendredi 2 Janvier 2004 – Quotidien n°36721

Alain Turpault partage son art avec ses «personnages»
A l’occasion d’une exposition commande sur les boucles du Lot, Le musée Henri-Martin de Cahors propose une visite de l’oeuvre, entre France et Afrique, de ce photographe singulier

Immersion 1, 2 et 3. L’écriture photographique d’Alain Turpault, véritable metteur en scène de ses tableaux, transporte dans un autre espace-temps

La dépense de l’inutile
.. Au vrai, saisir photographiquement l’enfance n’est possible que dans cette double approche: ou l’accumulation strictement documentaire (Hine), ou la distance du rêve, mis en scène. Alain Turpault paraît plutôt emprunter cette voie détournée. Il y a des enfants, il y a des objets, un lieu fixé. Entre tout cela, une relation onirique diffuse, dont le spectateur seul décidera de la valeur. A l’origine, une commande de l’association «Arrêt sur Images» de Lectoure, dans le Gers. Turpault choisit de photographier des enfants, dans cette zone rurale encore largement marquée par un rapport profond au terroir, aux traditions agraires. Tout de suite, le photographe refusera ce qu’il est convenu d’appeler le «le reportage», sur lequel flotte toujours l’illusion d’une approche sociologique Immédiate, comme si la simple collecte du document photographique y suffisait. Alain Turpault a passé lui-même son enfance à la campagne, près de Cahors. Il garde encore en lui le souvenir des jeux dans les greniers, des soirs d’été dans des grandes maisons de vacances, ouvrant sur des parcs ou des champs, saturés d’odeurs de pollen ou de tabac séché. Il sait que, vers sept ou huit ans, l’enfance à la campagne revêt cette qualité unique dont la littérature a pu se faire l’écho, chez Henri Bosco ou chez Alain Fournier. Il décide donc d’en tenter l’équivalence photographique. Pour cela, il invente, comme tout artiste conséquent, un protocole, il se rend dans les familles d’agriculteurs, contactées par l’association, établit surtout avec les mères (l’enfance, dit-il, et ses photos en portent largement la trace, relève d’abord du domaine féminin) des liens de connivence, parle avec les enfants, convient de leur poser une question, à partir de laquelle s’ instaurera, par le jeu des réponses, la possibilité d’une mise en scène photographique légère:
Resteras-tu, plus tard à la ferme La presque quasi totalité des réponses négatives induira le titre de la série d’Alain Turpault: J’irai courir le monde.
De cette volonté des enfants à quitter le terroir, à se projeter dans un futur qui, bien évidemment, n’est que l’incarnation rêvée de leurs désirs présents, naît le projet photographique d’Alain Turpault. Il lui faudra déterminer, avec les enfants concernés, le lieu et les objets adéquats à cette projection Imaginaire (en général trouvés dans les greniers des fermes mêmes), quelques maquillages, comme ceux des fêtes enfantines dont regorge Le grand Meaulnes, une scénographie réduite.
Alain Turpault a l’habitude de travailler en pause longue: son travail sur le fleuve Niger, ses «ateliers d’artistes» ont été réalisés ainsi. La pause longue, en troublant 1 image au moindre «bougé» du sujet, permet cette incertitude dont, souvent, le rêve porte trace.
La relation du sujet à un objet, à un lieu, est toujours très forte dans les photographies de Turpault.
Elle apparaît particulièrement pertinente dans ce travail sur les enfants: le «lieu de l’imaginaire» n’est pas Ici expression vaine. L’enfance y apparaît dans la vérité de son ambiguïté, asexuée, ou plutôt, féminisée. Est-ce la douceur de certaines matières cotonneuses (plumages d’oiseaux), l’incertitude des lignes floues, les tubes, les chasubles, l’imprécise présence d’un ange ? On voit des potirons, de gros paquets de livres, des murs clairs écaillés. Des cous d’enfants graciles, tendus vers d’encore plus hautes lumières. Des Pierrot gisant sur un drap blanc ceint de feuilles de tabac séchées, se tenant la main dans l’abandon complice et ambiguë de l’enfance. Ou masqués, contenant le vol élancé des colombes aux ailes dépliées. Tous ces gestes accaparent un désir, tentent de l’arrimer, d’en assurer la matérialité. Ils attirent vers eux une lumière, repoussant dans l’ombre d’invisibles fantômes, déchirant des cloisons de papier Ces activités sont gratuites, même las de l’ordre rationnel, trop souvent bien caché, du jeu. Ce qu’a parfaitement bien compris Alain Turpault de l’enfance, c’est justement son économie première: lle ne s’assure de rien, se dépense dans l’inutile. Pour cela, elle est le lieu premier de l’art.

Gilles Mora.

Les mondes intérieurs d’Alain Turpaul
Alain Turpault, photographies 1988 – 1994


Dans doute l’homme a-t-il quelque rapport avec le climat de ses images. On le voit plutôt retenu discret, mais sensible attentif à tout ce qui l’entoure ; On l’imagine sans violence aucune, mais habité par une quête intérieure.qui s’impose a lui de façon impérative. Alain Turpault avance sans fracas dans le monde de la photographie, mais de façon sûre ; chacun de ses livres, s’il est l’empreinte de curiosités nouvelles, témoigne d’une constance dans le recours à certains outils plastiques : comme ce goût pour les noirs profonds ou encore le bougé de ses sujets. Du premier ouvrage édité, des portraits d’artistes dans leur atelier, on retient un sens de la disposition du sujet relativement à son environnement, dans le cadre difficile du 6×6. ( …)
Dans « J’irai courir le monde », Alain Turpault développe une mise en scène plus complexe, dans laquelle le hasard ou l’improvisation ont sans doute un rôle, et abandonne la séquence à caractère linéaire. Chaque Image constitue une scène de nature différente. Les acteurs sont des enfants. Mais le sens de leur geste, de leur rapport avec les objets et le décor auxquels ils sont confronté, même si affleure parfois un élément à caractère mythologique, reste empreint d’un subtil mystère que la légende de l’image désignant un lieu-dit, ne suffit à lever (…) Le photographe, qui s’identifie peut-être lui-même aux enfants qu’il met en scène, souligne ainsi la liberté et la magie de cet univers fragile, délicatement suspendu. Dans un autre livre à paraître prochainement. « D’abord nous sommes au monde », Il est cette fois explicitement question de sa propre enfance. Il recompose l’univers (…) dans lequel Il a grandi. La Photographie est ici le véhicule d’un voyage dans le temps, elle réactive la mémoire (…). Entre-temps, Alain Turpault s’est aventuré plusieurs fois dans la région du fleuve Niger. Mais cet éloignement répété, la fréquentation de l’ethnologue, de ceux qui savent ce que veut dire l’Afrique, ses rites, ses pratiques sociales, tout cela ne semble en rien n’avoir changé l’attitude du photographe, sa démarche prudente, son plaisir d’écrire le mouvement, de peindre l’obscurité. Comme si, en fin de compte, les images du Mali appartenaient au même rêve que celles du Lot.

Gabriel Bauret

Collections Lotoises


CARTE BLANCHE À ALAIN TURPAULT
Conceptuelle, historique, engagée, ethnographique, de nu, de mode, animalière, jamais la photographie en tant qu’Art n’a été autant cataloguée, exposée, diffusée, vendue et commentée qu’aujourd’hui. Les artistes sont à la « hune n. Le monde défile sous leurs yeux, ils le scrutent dans le rond de leurs lunettes. Cathodiques ou imprimées, leurs images couvertes de sels d’or ou d’argent. composées de pixels, comblent des vides infinis qui participent de notre histoire autant qu’ils la façonnent. Elles sont nos cartes du monde, nos envies, nos réveries. Plus rien n’échappe à la théàtralisation de la photothèque mondiale. Nous sommes irrémédiablement liés à l’Image dans le lieu et le sujet, le temps et le regard, le capteur et l’action.

Cahors fut pendant dix ans (1991-2000) au devant de la scène – Printemps de Cahors souvenirs et catalogues en temoignent. Puis vint le temps d’un cycle d’expositions et de commandes passées à trois artistes photographes-vidéastes – Bogdan Konopka. Esther Shalev-Gerz et Alain Turpault – en vue de constituer une collection consacrée aux images de la vile. L’exposition qui les réunissait en 2004 a confirmé la volonte de la vile de Cahors de poursuivre son exploration des divers champs de la création photographique contemporaine. Fallait-il ensuite développer une nouvelle thématique, piocher dans le portefeuille des galeries et des festivals pour découvrir de nouveaux talents ou poursuivre le travail entrepris avec ces trois photographes en les invitant a présenter, chacun des oeuvres inédites faisant écho a leurs propres recherches ?

Cette derniere proposition fut finalement retenue. En 2006. Bogdan Konopka a reuni sous le titre « Un souffle autour de rien » les travaux recents de Krzysztof et Cichosz. Pawel Zak et Jiri Sigut. En cet automne 2007 Alain Turpault a choisi d’exhumer des collections photographiques lotoises. de connaitre l’expérience quelque peu troublante qui consiste a s’approprier le travail dun autre photographe, a pénetrer l’intimité qui l’unissait a son modèle, à les presenter dans leur integrité quitte a trahir l’idée qu’il se faisait de la « belle image ».

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